Putain que j’ai eu peur dans ma vie.
J’ai eu de peur de dire « non » tant de fois. J'ai eu peur de dire "oui" aussi.
J’ai eu peur de prendre ma place, dans ma famille, dans ma fratrie, dans mon couple, dans ma profession.
Je me suis longtemps perçue comme ce petit oisillon fragile, tombé du nid, sans défenses, malmené par la météo et les situations extérieures.
Je me suis longtemps vue comme une fuyante, une lâche.
Dans le dictionnaire à côté du mot “fuyant” on lit : “qui se dérobe aux déclarations franches, qui évite de prendre réellement position”.
En visionnant l’année dernière le film Sur les chemins noirs, récit de résilience de Sylvain Tesson, j’ai découvert un autre sens. Jean Dujardin, qui interprète le rôle de Sylvain Tesson, note dans son carnet de voyage, Napoléon disait qu’il n’y a que deux sortes de gens : les commandants et les obéissants. Je crois qu’il en existe une troisième sorte : les fuyants...
J’ai découvert que fuir pour moi, c’était aussi commander.
Je n’ai pas pu fuir devant mon agresseur – et aujourd’hui je sais quel est le mécanisme psychique à l’œuvre lors du trauma – mais j’ai osé fuir le carcan et le déni familial et sociétal, ce qui a sans aucun doute été bénéfique, un temps, pour me permettre de commencer à effectuer mon propre chemin de résilience. Rester au cœur de l’omerta, au sein d’un petit village, il y a presque 30 ans, aurait sans aucun doute été plus aliénant pour moi au fil des années.
Finalement, fuir m’a permis de grandir, de guérir, de comprendre, de faire doucement renaître les parties de moi que je trouvais moches, pas aimables, lâches.
La résilience a son temps, ses saisons.
Acceptons-le.
Chaque histoire est singulière.
Mes propres carnets de voyage noircis au fil des années m’ont tellement aidée dans ce processus.
L’écriture m’a permis de découvrir que derrière la fuyante se cachait en fait une guerrière avec un instinct vital, presque animal, qui m’a permis de rebondir tant de fois au cours de ma vie.
Aujourd’jui je fais partie d’une association destinée aux victimes d’inceste basée à Haguenau en Alsace. En mai 2024 j’ai participé en tant que conférencière au lancement du livre intitulé “We too” écrit par 8 victimes d’inceste membres de l’association (lien ci-dessous).
On a parlé ce soir là de l’importance de l’écriture, de l’art, du fait de transcender les maux par les mots, de libération la parole.
Ce soir là, comme tous les résilient.e.s en mouvement, je n’étais plus fuyante.
C'est aussi ce soir là, hasard du calendrier divin, que j’ai eu aussi une pensée émue pour François.
Il était super François, j’aimais son flegme, son sourire en coin.
Tout le monde l'aimait bien et tout le monde parlait de lui à demi-mots avec une gène palpable depuis des années.
On disait de lui qu’il était tellement brillant avant que “ça” n’arrive.
Personne n’a jamais vraiment oser parlé de “ça”.
Il avait 23 ans à l'époque.
Lui non plus n'a jamais osé en parler.
Il est parti emprisonné par ses mots/maux à l'âge de 55 ans.
Ca laisse des traces “ca”.
Au cours du colloque “Mémoire traumatique de l’enfant à l’âge adulte violences sexuelles” la Dre Muriel Salmona, psychiatre, écrit : “avoir subi des violences, en être témoin, avoir subi des négligences surtout pendant l’enfance, est un déterminant majeur de la santé des adultes (ONU), même cinquante ans après (étude de Felitti et Adda, 2010) s’il n’y a pas de prise en charge spécifique, avec une corrélation très importante avec la survenue de cancers (x 2,4), d’accidents cardio-vasculaires (AVC x5,8), d’atteintes pulmonaires, hépatiques, troubles gynécologiques et obstétricaux, IST (infection sexuellement transmissible), VIH, de morts précoces (20 ans de perte d’espérance de vie, OMS 2014), de suicides (x 49), de dépressions, d’addictions, d’obésité, de troubles psychiatriques, de conduites addictives, de marginalisation, de délinquance, et en cas de 4 types de violences ou de négligences associés cela peut faire perdre jusqu’à 20 années d’espérance de vie”.
Cher François,
J’aurai tellement aimé que tu saches que la peur n’est pas le problème.
J’aurai tellement aimé que tu saches qu’il n’y a rien à craindre.
Jamais.
J’aurai tellement aimé que tu découvres le guerrier en toi.
J’aurai tellement aimé que tu saches que tu n’es pas seul.
La peur est le signal qu’on est au bon endroit pour la traverser.
Salut François.
Tu restes dans mon cœur pour toujours.
Vive la vie !
Et toi ? Tu pars avec tes mots ou tu les libères ?
Pour commander le livre de l'association Victimes Incestes Alsace :
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Photo personnelle : réception de mes premiers livres le 17 juin 2024 ( un peu d'appréhension, bien sûr, mais fière de moi !)