Déshabillez moi


Tout le monde connaît l’intemporelle et iconique interprétation de cette chanson par Juliette Greco mais tout le monde ne sait peut-être pas qui se cachait derrière cette silhouette graphique, mystérieuse, toute de noire vêtue.

 

Je l’ai découvert récemment dans un documentaire intitulé “Juliette Greco : une femme libre”.

 

Dès les premières minutes, Juliette, à 88 ans, se décrit comme une femme infernale, libre, sincère, insatiable amoureuse qui a toujours assumé ses choix.

 

Enfant elle avait pourtant choisi le silence, le retrait du monde extérieur.

Elle est le fruit d’un viol et explique qu’elle a cherché l’arbre durant toute son enfance.

On l’appelait la secrète, la sourde-muette. Elle tait ses souffrances. Il n’y a qu’avec sa sœur Charlotte qu’elle réussit à communiquer.

Elle assiste impuissante à la relation houleuse de ses parents qui se séparent très vite.

 

Elle observe le monde.

 

Après la séparation, Juliette et sa sœur sont envoyés chez leurs grands-parents à Bordeaux. Son grand-père est bienveillant, protecteur, tendre et généreux avec elle mais il meurt brutalement alors que Juliette a 6 ans.

 

Elle dit « mon enfance s’arrête le jour de la mort de mon grand-père ».

Elle retourne ensuite vivre à Paris chez sa mère, absente, qui n’aura jamais un seul mot ou geste de tendresse à son égard.

 

Petite déjà, le corps entre en scène.

Elle s’exprime à travers lui. A 13 ans elle devient petit rat à l’Opéra Garnier.

 

Puis la guerre éclate. Sa mère qui, explique Juliette, a « toujours été faite pour le combat » entre dans la résistance.

Sa sœur et sa mère sont déportées à Ravensbrück. Juliette qui a 16 ans à l’époque vit dans une pension de famille.

Elle y trouve une mère de substitution.

A la libération, lorsque sa mère revient du camp, elle n’a aucun mot aucun regard pour Juliette.

 

Juliette comprend alors que dans la vie « il ne faut rien attendre des autres, même pas de sa mère ».

Elle dira « je ne lui en veut pas, elle m’a appris à aimer la vie et à rechercher la beauté ».

 

Cette phrase me rappelle le poignant hymne et cri que John Lennon adresse à sa mère sur l’album Imagine (1970)

Mother

Mother, you had me but I never had you

Oh-oh-oh, I wanted you, you didn't want me

So I, I gotta tell you

Goodbye, goodbye

Mother, you left me but I never left you

Oh-oh-oh, I needed you, you didn't need me, oh no

So I, I gotta tell you

Goodbye, goodbye

Children, don't do what I have done

Oh-oh-oh, I couldn't walk, I tried to run

So I gotta tell you

Goodbye, goodbye

 

Il y a des au-revoirs nécessaires et plein d’amour, pour grandir et suivre sa propre voie/voix.

 

Juliette se recrée alors une nouvelle famille à Saint-Germain-des-Prés. Elle devient une muse pour de nombreux artistes.

Elle avait compris inconsciemment quelque chose d’important à la mort de son grand-père : la vie peut s’arrêter brutalement, alors elle décide de prendre chaque nouveau jour comme un cadeau.

 

Mais la vie continue à la frapper au cœur.

Son premier grand amour décède brutalement dans un accident de voiture.

Elle tombe et se relève.

 

La scène va bouleverser sa vie.

Elle y découvre comment guérir de ses blessures.

Elle entre en scène pour qu’on l’aime qu’on comprenne ce qu’elle a à dire. Ca marche. Elle s’exprime à travers les textes et les mots des autres. Elle parle avec ses mains.

 

« Je suis une servante », rien d’autre dira-t-elle.

« Je travaille pour le bonheur, pas pour le malheur »

A Paris, elle vivra un coup de foudre fait d’admiration, d’éblouissement et de respect pour Miles Davis.

Puis elle part vivre 3 ans à Hollywood. A son retour en France, elle se marie une première fois, deviendra elle-même la mère absente d’une petite fille et divorce 3 ans plus tard. L’histoire se répète.

Puis elle se remarie avec Michel Piccoli, divorce 10 ans plus tard et vivra aussi une amitié amoureuse avec Françoise Sagan.

 

« On est fait pour aimer », « mon talent ce sont les rencontres » dit-elle.

 

Avec son dernier mari, Gérard Jouannest, son pianiste depuis 40 ans, Juliette trouve l’apaisement et dira « on a vraiment été ensemble ».

Il m’a pris comme j’étais.

 

Quel parcours.

Merci de vous être déshabillée dans ce documentaire.

 

La vie de Juliette m’a fait penser à un haïku, cette forme originale et populaire de la poésie japonaise qui dans sa forme pure se compose de trois vers de cinq, sept et cinq syllabes soit dix-sept en tout.

Bashô, le grand maître du haïku le décrit ainsi « dans un haïku, il faut exprimer immédiatement toute vérité qui se révèle, avant que sa lumière ne s’éteigne ».

 

Il y a dans le haïku des contraintes rythmiques, des choix de termes à faire, des choix qui peuvent être affectifs, intellectuels ou dû au hasard.

 

J’ai retrouvé cette urgence, ces choix à faire dans la vie de Juliette.

Et bien sûr les contraintes.

Elle en a eu beaucoup dans sa vie, dès le départ.

Et nous en avons tous à des degrés divers.

 

Aimons-les et aimons-nous avec elles.

Elles sont l’essence de qui nous sommes.

Les contraintes nous poussent à aller vers l’essentiel, vers notre essentiel, celui qui vibre au plus profond de nous.

 

Chaque vie a un sens qui se révèle et devient plus fulgurant au fil des contraintes. Je le crois sincèrement.

 

Et comment pourrais-je ne pas y croire ?

N’ai-je pas eu moi-même à chaque fois que j’étais au fond du gouffre, une étoile, une phrase, un livre, une rencontre qui continuaient mystérieusement à me guider et à m’aider à me relever ?

 

Nous ne sommes jamais seul.e.s

 

Continuer à aimer et se mettre au service des autres malgré, ou peut-être plutôt « grâce » aux contraintes de nos vies c’est sans doute aussi un peu ça devenir « une femme ou un homme libre ».

Merci Juliette pour l'inspiration.

On avance ensemble.

 

Sylvie Moulédous


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