
Comme je l’évoquais dans mon précédent article, ces dernières années — et plus intensément encore ces derniers mois — j’ai eu la sensation de revenir au cœur même de mes blessures.
Le cœur de nos blessures est toujours lié à un manque d’amour : qu’il ait été réel — à travers la négligence, l’abandon (conscient ou inconscient), les traumas — ou qu’il ait simplement été perçu comme tel par le bébé, puis l’enfant que nous avons été.
J’ai plongé dans mes abîmes pour mieux remonter. Autrement.
La vie, elle, connaît le chemin.
Et pourtant, j’ai tant évité cette plongée.
Parce que revenir à mon cœur évitant, c’était aussi revenir au cœur de mon histoire.
Celle que j’avais fui.
Géographiquement, pendant 24 ans.
Mais aussi émotionnellement, pendant de nombreuses années.
Les relations familiales sont les plus difficiles à transformer. Elles s’enracinent dans des années de non-dits, de loyautés invisibles, de fidélités inconscientes construites dans l’enfance.
Ce retour au cœur de mes blessures s’est fait par le corps.
Par l’autorisation, enfin, de ressentir ce qui me traversait. Et non plus simplement de le comprendre, de l’analyser.
Quand on grandit dans une famille où les émotions ne sont pas les bienvenues, on s’échappe par l’intellect.
On cherche à donner du sens à des situations que l’on ne comprend pas.
Mais c’est bien le corps qui, avant toute chose — bien avant l’intellect — porte les mémoires cellulaires de nos blessures.
Revenir au corps.
M’autoriser à ressentir pleinement la colère, la tristesse, le ressentiment…
C’était nouveau. Et profondément libérateur.
« La folie, disait Einstein, c’est de faire toujours la même chose en espérant un résultat différent. »
Ressentir enfin était la clé d’un nouveau résultat.
Car si le corps est mémoire, il peut aussi être renaissance.
C’est du corps, de nos sensations, de nos émotions, que nous nous séparons lorsque, enfants, nous érigeons des barrières de protection pour survivre à l’incompréhensible.
C’est donc aussi par le corps que le chemin vers notre unité — corps, esprit, âme — peut se reconstruire.
Depuis toujours, quelque chose en moi ressentait plus fort.
Quelque chose en moi comprenait sans explication.
Quelque chose voyait ce que d’autres fuyaient.
« Tu as toujours été différente », me disait souvent ma mère.
Longtemps, j’ai vécu cette différence comme un fardeau.
Et puis, je me suis souvenue que Carl Jung parlait de ces êtres qui, dans une lignée, reçoivent une mission : celle de transformer, d’éclairer, de rompre avec la répétition.
Alors je me suis interrogée :
Quelle était cette répétition inconsciente que je portais en moi, transmise de génération en génération ?
Je me suis souvenue des femmes de ma lignée : ma mère, mes grands-mères, mes tantes, ma sœur.
Je me suis souvenue des silences, des secrets, des fardeaux, des conflits tus.
Combien de femmes ont dû se taire, se sacrifier, sourire alors que leur cœur hurlait ?
Je me suis souvenue de ce livre que lisait ma tante : Les mots pour le dire, de Marie Cardinal.
Je l’avais commencé en cachette, fascinée.
Elle aussi, sans doute, cherchait les mots pour dire.
J’ai compris que je portais cela dans mes cellules.
Par transmission.
Par fidélité.
Par amour, parfois.
Ce n’était pas "dans ma tête".
C’était dans mon histoire.
Dans ma lignée.
Et mon corps, ce temple, méritait d’être libéré.
Alors… pourquoi revenir au cœur de nos blessures ?
Parce que ce cœur douloureux contient, en creux, la possibilité de découvrir notre vérité.
D’ouvrir une nouvelle porte.
Un choix intérieur, souvent lent, parfois douloureux.
Revenir au cœur de nos blessures, c’est apprendre à dire stop.
Couper le cordon.
C’est effrayant, bien sûr.
Parce qu’affirmer sa liberté, surtout dans des liens blessés, peut être vu comme une trahison.
Mais dire sa vérité, ce n’est pas trahir.
C’est s’honorer.
C’est devenir.
C’est s’apaiser.
Derrière la peur de rompre un équilibre familial, de ne plus être la "gentille fille", se cache une force nouvelle, prête à s’épanouir.
Avant d’écrire Écoutez-moi !, je me suis interrogée :
Qu’est-ce que je ne voulais plus transmettre ?
Pas à une fille — je n’en ai pas — mais à mon fils.
Et ce qui m’est venu, immédiatement, c’était :
Les non-dits.
Les vérités déformées, enjolivées.
Les récits édulcorés pour ne pas déranger.
En écrivant, je voulais devenir une mère libre.
Consciente.
Une mère qui sent, qui voit, qui parle.
Pas une mère parfaite.
Mais une mère qui ose.
Qui ouvre une nouvelle porte. Familiale. Transgénérationnelle.
Une mère qui aime autrement.
Je voulais que mon fils ressente que l’amour que je lui porte est libre.
Qu’il n’a pas à mériter sa place dans ma vie.
Qu’il n’a pas à me réparer.
L’aimer, tout simplement.
Sans conditions.
Alors, à quoi cela nous sert-il, vraiment, de revenir au cœur de nos blessures ?
À apprendre à aimer.
À commencer par nous-mêmes.
Puis notre histoire… surtout si elle est lourde.
Puis ceux qui l’ont traversée, ces acteurs parfois bienveillants, parfois maladroits ou cruels, mais qui, au fond, nous ont appris quelque chose de l’amour.
À apprendre à pardonner, aussi.
Et quand on commence à s’aimer pour de vrai…
Le pardon finit toujours par couler de (la) Source.
On avance ensemble.
Sylvie Moulédous