
Et si le chemin vers la vie passait par une plongée au cœur de nos blessures les plus anciennes ? Dans ce nouveau texte intime, j’évoque la période pascale comme une traversée symbolique : celle de la douleur, de la vérité révélée, et de la renaissance. À travers un retour sur mes origines, les silences familiaux, la honte, la culpabilité, je raconte comment l’amour, même oublié, peut revenir frapper à la porte de notre cœur. Une invitation à se reconnaître, à s’honorer, à marcher vers la lumière. Ensemble.
Nous voilà une fois de plus à l’approche de cette période singulière qui précède les fêtes de Pâques.
Bien que je sois née un 25 décembre, jour de la nativité dans la tradition chrétienne, c’est la période pascale qui m’a toujours semblé la plus bouleversante, la plus initiatique. Ce passage, qui début le jour des Rameaux pour culminer dans la célébration de la Résurrection, m’invite chaque année à un dépouillement intérieur, une sorte d’urgence vitale : celle d’aller à la rencontre de ce qui surgit au cœur même de la douleur.
Mourir à ce qui nous entrave pour renaître. Encore et encore. A l’image de la nature qui, chaque printemps, revient à la vie après la traversée de l’hiver.
C’est justement un lundi de Pâques, il y a cinq ans, alors que je vivais encore à Nouméa, que j’ai trouvé le courage d’appeler mes parents pour leur parler des violences sexuelles subies à l’adolescence. Un élan de vérité, un saut dans le vide, qui s’est heurté à une révélation encore plus douloureuse : ils savaient déjà. Mon père me le confirmera de vive voix.
Ce jour-là, pourtant je me souviens précisément de mon réveil. J’ai dit à mon mari : “C’est aujourd’hui que j’appelle mes parents.” Aucune hésitation. Aucune peur. C’est une évidence. Je me suis sentie portée, accompagnée par une force invisible, bienveillante, aimante.
Sans le savoir, ce lundi de Pâques a marqué le début d’un chemin de retour vers la vie, vers une forme d’abandon confiant, une reconnexion à mon intuition. Quelque chose de plus grand que moi s’est mis en mouvement. Une foi incarnée.
Bien sûr, il y aura d’autres rechutes, d’autres descentes. Mais ce jour-là a été un premier mouvement. Celui qui, petit à petit, me permettra de dépasser mes hontes, mes culpabilités.
Cette énergie d’amour, je l’avais déjà rencontrée enfant, lorsque je cherchais des réponses à mes questions de petite fille. Je la percevais à la messe, dans la prière silencieuse, ou le soir, lorsque je priais avec ma grand-mère et mon chapelet jaune fluo.
En explorant mon histoire personnelle – et certains pans continuent encore aujourd’hui à s’éclairer – j’ai compris que la honte et la culpabilité étaient entrées très tôt dans ma vie... bien avant les violences.
Enfant non désirée à une époque où l’avortement n’existait pas encore, je suis la quatrième, née d’une mère de presque 37 ans. Aujourd’hui, on sait à quel point le désir – ou l’absence de désir – d’un enfant marque son existence.
Je me suis longtemps sentie comme un “accident dans l’accident”. Niée dans le regard de mes parents.
C’est mon frère aîné, alors âgé de 11 ans et en convalescence d’un grave accident, qui est chargé de me nommer. Il choisit “Syl-Vie”, le prénom de sa petite copine du moment. En langue des oiseaux, cela peut se lire : “S’il vit, tu vis”.
Mon frère a choisi la vie. Moi aussi. Je suis née un 25 décembre au matin.`
Ma mère m’a souvent raconté cette période difficile de sa vie – et donc de la mienne. Elle était enceinte de cinq mois lors de l’accident de mon frère, et me disait régulièrement qu’elle avait oublié qu’elle était enceinte. Même son ventre était invisible, ajoutait-elle. Un voisin du village, l’ayant croisée la veille de mon accouchement, n’avait pas remarqué quoi que ce soit.
Ce récit, répété sans ménagement, me fut transmis comme un fait banal, sans que jamais soit pris en compte ce que cela pouvait provoquer en moi. Inconscience ? Culpabilté ? Secret encore tapi dans les silences ?
Quoi qu’il en soit, j’ai fini par comprendre, au fil de mon chemin thérapeutique, que la froideur de ce récit, dénué d’amour maternel, fut une grande blessure.
Je suis née invisibilisée, dans un ventre anesthésié, avec un profond sentiment de honte et de culpabilité d’exister. Pour résumer, la honte, c’est le mépris de soi.
Puisque ma mère ne se souvenait pas de m’attendre et que son ventre ne se voyait pas, l’enfant que j’étais a intégré une croyance : je n’avais pas ma place. Je n’avais pas de valeur. Je n’avais pas de voix. Et donc, je n’étais pas aimable.
C’est à ce moment-là qu’est née en moi une blessure d’abandon maternel, béante. La honte de ne pas être aimée. Et, bien plus tard, j’ai compris l’autre versant de cette blessure : la honte de ne pas pouvoir aimer. Les deux étant inextricablement liées.
L’amour est un flux, une énergie. Il se donne et se reçoit. Lorsque notre coupe est vide à notre arrivée dans ce monde, il nous faut d’abord la remplir, avant de pouvoir aimer en retour. Et ce processus peut être long, parfois épuisant.
Alors j’ai été cette enfant sage, obéissante. Celle qui ne fait pas de vagues. “Tu jouais seule pendant des heures, on ne t’entendait pas”, disait-on de moi.
Bien sûr. J’avais compris que pour être aimée, il valait mieux ne pas déranger. Et cette croyance m’a suivie longtemps. Je pensais que l’amour viendrait forcémenet de l’extérieur, que c’était aux autres de m’aimer.
Christiane Singer écrivait :
“S’aimer soi-même, c’est le plus difficile. Tant que nous ne sommes pas en amour avec nous-même, nous sommes une fréquentation dangereuse pour les autres, car nous cherchons sans cesse compensation dans la relation. Inclinons-nous devant le mystère que nous abritons tous”.
Ma sœur, de dix ans mon aînée, devint alors ma “seconde maman”, comme une disait. Elle fut ma tutrice de résilience durant les premières années de ma vie.
Très vite, cette petite fille pleine de honte, avide de mots et d’amour, a cherché un appui, une oreille, une présence.
Elle l’a trouvé dans la figure du Christ, d’abord. Puis, elle s’en est éloignée, durant de longues années, croyant ne pouvoir combler ce vide dans le regard des autres, dans le divertissement, le mouvement extérieur, dans la matière.
Mais la vie, patiemment l’a ramenée. Epreuve après épreuve, de Nouméa à Strasbourg, l’appel des bâtisseurs s’est à nouveau fait entendre. D’abord de loin. Puis de plus en plus clairement.
L’écriture de mon livre “Ecoutez-moi !” puis sa publication en mai 2024, aux éditions Maïa a fait partie de cet appel.
Les détours mystérieux de l’existence...
Dimanche, nous entrerons dans la Semaine sainte avec la fête des Rameaux.
Quel est le sens profond de ce jour ?
Sœur Nathalie Becquart en offre une lecture contemporaine :
“Tant de personnes vivent dans leur chair la Passion du Christ aujourd’hui. Le message chrétien est de leur dire qu’ils ne sont pas seuls. Que le Christ est avec eux pour marcher à leurs côtés, qu’il a vécu, lui aussi, des épreuves, jusqu’à la mort... mais il est ensuite ressuscité. Par sa vie donnée par amour jusqu’à la mort, il nous ouvre un chemin d’espérance et nous invite à avancer ensemble dans un esprit de fraternité et de solidarité.”
Mon livre “Ecoutez-moi !” s’ouvre sur cette phrase de Christian Bobin :
“Il faut que tout respire et chante en nous, même le néant.”
Aujourd’hui, sortant enfin de cette longue apnée, j’ai appris à m’aimer et je peux murmurer cette phrase de l’Ancien Testament :
“Je te remercie de cette merveille que je suis et que tu as créée.”
Merci. Merci. Merci.
On avance ensemble.
Sylvie
Rendez-vous : le 18 mai 2025, venez me retrouver au premier Salon du Livre de Bassillac et Auberoche en Dordogne