La porte est en dedans


Je parle souvent des rencontres qui m’ont transformée.

Les toutes premières, comme pour chacun.e d'entre nous, ont eu lieu dans la petite enfance puis dans l'enfance.


Elles forment le socle invisible sur lequel nous allons construire notre vie.


Elles proviennent de notre environnement immédiat : nos parents, nos proches, notre fratrie.

Elles sont imprégnées d’injonctions, de croyances sur la vie, de valeurs transmises par la culture, l’histoire familiale, le milieu dans lequel on grandit.

 

Parfois, ces croyances sont légères et joyeuses. Mais bien souvent, elles sont teintées de peurs, d’obligations, de limitations, de non-dits.

 

Ces premières rencontres deviennent notre normalité.


Quand on nous fait comprendre que nous ne sommes « pas assez », « bizarres », ou un

« problème à résoudre », on y croit.


Quand on nous intime d’obéir, sans jamais écouter ce que l’on dit ou ressent, on apprend que nos paroles, nos sensations, nos besoins n’ont pas de valeur.

 

Parfois on nous dit que c’est pour notre bien. On appelle ça l’éducation.

 

Et cette éducation devient notre cadre de référence. Cadre de référence qu’on va emporter, très inconsciemment, dans nos relations adultes... mais ça, c’est encore une autres histoire.

 

Enfants, nous n’avons pas le recul pour interroger ce cadre.


Alors on prend tout. Le bon, le mauvais, l’indicible.

 

On est modelés, façonnés comme nos parents l’ont été par les leurs, avec leurs propres « psy-catrices ».

 

La vie est un cycle. Elle répète ce qu’elle n’a pas su réparer.

 

Alors on s’adapte. Même si, à l’intérieur, ça fait « grrr » et qu’on sent bien que quelque chose ne tourne pas rond.


On accepte pour survivre.


Et surtout — surtout — pour être aimés, reconnus, pour exister dans le regard d’un autre.

On fait tellement de choses pour être aimés des autres.

 

Mais à force de nous soumettre, on finit par perdre cette lumière unique qui brillait en nous.
Celle du petit enfant curieux, avide de découvrir le monde.

 

Voilà les traces de nos premières rencontres : parfois joyeuses, souvent réductrices.

 

Ensuite viennent aussi d'autres rencontres.


Celles qui blessent plus profondément.
Celles qui traumatisent et continuent à creuser le sillon laissées par celles de notre enfance.

 

Elles arrivent comme des électrochocs, si violentes qu'elles nous dissocient de nous-mêmes.
Plus de son. Plus d’image. Comme un tableau électrique qui disjoncte.

 

C’est ce qui se passe dans les cas d’inceste ou de violences sexuelles.
C’est brutal. C’est violent.

 

Tellement violent que certain·e·s enferment les souvenirs dans une boîte noire, et « oublient » pendant des années.

 

Mais, comme le dit le Dr Bessel Van Der Kolk, « le corps, lui, n’oublie rien. »


Il envoie des signaux. Des douleurs. Parfois des maladies.

 

Ce sont des appels à la guérison.


Mais il faut souvent du temps pour les entendre.

 

Certaines personnes, comme je l’ai fait, croient que fuir à l’autre bout du monde est une solution.

 

Fuir… quelle illusion.

On met souvent des années à comprendre qu’il ne s’agit pas de fuir notre guerre intérieure comme un déserteur qui se sent coupable et honteux, mais de comprendre, d’oser faire face à ce qui nous habite : peur, colère, culpabilité, honte… et, peu à peu, de réintégrer les morceaux manquants et éclatés du puzzle de notre vie : sécurité, amour, écoute, reconnaissance, regard bienveillant, respect, acceptation…

 

A noter que cette réintégration prend du temps - car les vides laissés par ces traumas sont souvent abyssaux - et qu’elle doit à nouveau passer par le corps.


Par la capacité à rouvrir, avec de nouvelles clés et beaucoup d’amour et de respect, ce qui a été verrouillé par instinct de survie.

 

Il ne s’agit pas de fuir.


Il s’agit d’habiter à nouveau son corps et son cœur.

 

Et de se rappeler, comme l’indique la porte de l’église du Graal dans le petit village de Tréhorenteuc visitée en novembre 2022 que :

 

La porte est en dedans.

 


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