(Ré)apprendre à (se) parler


Inspiré d’un podcast de France culture avec Muriel Salmona et Anne Bouillon  

 

Depuis l’élan #Metoo un mot revient sans cesse : libération.

On a dit que la parole s’est libérée comme si un verrou avait sauté d’un coup, permettant aux victimes de violences sexuelles de briser le silence.

 

Mais est-ce vraiment si simple ?

Parler est-il toujours libérateur ?

Dire ce que l’on a subi suffit-il à aller mieux, à se reconstruire, à reprendre possession

de sa vie ?

 

Le podcast de Radio France auquel ont participé Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et victimologie et Anne Bouillon, avocate pénaliste engagée dans la défense des femmes – met en lumière toute la complexité de ce processus.

 

Car, parler oui est vital, encore faut-il être écouté, cru, soutenu. Sinon, la parole peut se retourner contre la victime, creusant encore davantage le gouffre du traumatisme.

 

Cet article explore, à la lumière de leurs échanges, les multiples dimensions de la parole : ses nécessités, ses dangers, ses conditions d’efficacité.

 

Car apprendre à parler suppose aussi collectivement d’apprendre à écouter.

 

Pourquoi parler est vital ?

« Parce que sinon on meurt » dit Anne Bouillon.

 

Pour Muriel Salmona parler est une urgence absolue.

Avant même la reconstruction la parole est indispensable pour être protégée, soignée, reconnue. Tant que les faits restent dans l’ombre, la victime demeure isolée, exposée, vulnérable.

Parler, c’est nommer l’inacceptable. C’est empêcher que d’autres victimes subissent la même violence.

Pour Anne Bouillon, la parole est aussi un acte existentiel : quand on a été réduit à l’état d’objet, dire devient le premier pas pour redevenir sujet.

Mais cet acte est vertigineux : rompre le silence c’est briser un pacte tacite avec l’agresseur.

Et c’est à ce moment-là que les victimes sont les plus en danger.

Parler c’est bien plus qu’un récit personnel, c’est un geste politique, un appel au collectif. Reste à savoir ce que nous en faisons.

 

Les conditions pour que la parole libère

Parler ne suffit pas. La parole doit être accueillie, crue, soutenue et décryptée.

Les agresseurs construisent un système d’emprise qui colonise leurs victimes  : honte, culpabilité, doute.

Si la parole rencontre l’indifférence ou la suspicion, ce système reprend le dessus et détruit la tentative de libération.

C’est pourquoi le rôle des premiers interlocuteurs est capital : famille, amis, collègues.

« Je t’écoute » est un début.

« Je te crois » est vital.

 

Mais les obstacles intérieurs sont aussi puissants : dissociation, mémoire fragmentée, conduites d’évitement.

En moyenne, 10 à 13 ans s’écoulent, avant que les victimes trouvent le courage de parler.

La parole est une étincelle, pour devenir flamme elle a besoin d’être soutenue.

 

Les obstacles systémiques

La parole des victimes se heurte à un système entier de déni.

-       Seules 8% des victimes obtiennent une action concrète de protection.

-       Les médecins ne sont pas formés au psychotrauma.

-       La protection de l’enfance reste défaillante.

 

Certaines victimes parlent des décennies après, comme dans l’affaire Bétharram.

Pourquoi ? Parce que d’autre ont parlé avant elles, créant un climat de légitimité.

Chaque voix compte. Mais elle ne devrait pas dépendre du hasard ou du courage individuel. Elles devraient être soutenues par des institutions solides.

 

Le vertige du procès

Le procès devrait être un espace de justice et de réparation.

Trop souvent il devient un espace violent.

Revictimisation, reviviscences, stress post-traumatique... Parler devant un tribunal peut rouvrir toutes les plaies.

Pourtant la justice reste nécessaire comme le dit Muriel Salmona : « On ne peut pas vivre dans un monde où l’agresseur continue à circuler librement ».

La question n’est pas de renoncer au procès mais de les transformer : former les professionnels, adapter les procédures, respecter la dignité des victimes.

 

Après #MeToo qu’est ce qui a changé ?

2017 fut un séisme.

Avec #MeToo des millions de femmes ont trouvé un langage commun : MeToo - moi aussi.

Ce mouvement a brisé l’isolement mais il n’a pas tout changé :

-       Les chiffres des violences restent stables,

-       Certaines voix demeurent invisibles : enfants, femmes en ruralité, femmes handicapées, femmes SDF.

-       Les réponses politiques et médicales ne sont pas à la hauteur.

 

Et en parallèle, une contre-parole réactionnaire s’est levée, banalisant la misogynie et attaquant les victimes.

Pourtant une ligne a été franchie : la parole des victimes est désormais légitime.

Nous ne pouvons plus prétendre ignorer.

 

Écouter : un apprentissage collectif

On croit souvent que parler libère.

Mais en réalité c’est l’écoute qui libère. Écouter demande humilité, patience, courage.

C’est croire sans condition. C’est soutenir. C’est accompagner. Cela demande aussi une réponse collective : former les professionnels, créer des dispositifs accessibles, reconnaître que les violences sexuelles sont une urgence médicale et sociale.

La parole est une clé.

L’écoute est la porte qui s’ouvre.

 

La résistance et les attaques réactionnaires

A chaque avancée, une réaction.

Depuis #MeToo une parole décomplexée et misogyne s’exprime surtout sur les réseaux sociaux.

Elle attaque, ridiculise, inverse les rôles.

Elle brandit le spectre d’un « dogme victimaire ».

Ces discours sapent la confiance, dissuadent de parler, réactivent la honte.

La réponse doit être claire : défendre publiquement la parole des victimes, refuser la minimisation, soutenir les récits justes.

Être collectivement des gardiens de la vérité.

 

Conclusion : réapprendre à se parler

La parole est vitale mais elle n’est jamais simple.

Elle peut sauver ou détruire. Elle peut libérer ou enfermer. 

Ce que nous apprennent Muriel Salmona et Anne Bouillon, c’est que parler ne suffit pas.

Réapprendre à se parler c’est aussi réapprendre à faire société.

C’est transformer la parole en acte de justice et de solidarité.

Chaque voix est une brèche.

A nous de faire en sorte qu’elle ne se referme jamais.

 

Avec gratitude,

Sylvie

 

 

✨ Et si écrire devenait votre premier pas ?

Mes accompagnements en écriture thérapeutique ont justement cette vocation : permettre de poser des mots, parfois même après de longues années de silence, sur les traumas subis.

L’écriture devient alors un espace sûr, un lieu pour déposer, comprendre, et commencer à se libérer.  Si vous ressentez l’élan de mettre en mots votre histoire, je vous invite à découvrir mes accompagnements :

 

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