Témoigner ce n’est pas replonger dans la pornographie de la douleur


Quand j’ai publié mon livre « Écoutez-moi ! » plusieurs personnes m’ont fait remarquer :

« Mais pourquoi dans ton livre tu ne parles presque pas de ton agresseur et des agressions ? »

 

Cette remarque m’a interrogée pour différentes raisons.

 

Tout d’abord, elle montre à quel point il est encore difficile de comprendre ce qu’est ce type de trauma.

 

Le Dr Gabor Maté explique très simplement ce qu'est le traumatisme « Le traumatisme n’est pas ce qui nous arrive. Il est ce qui se passe à l’intérieur de nous (dans notre corps, notre cœur, notre tête) par rapport à ce qui vous arrive. Chaque être humain possède un « soi » véritable. Le trauma c’est la déconnexion avec cette partie de nous... alors que la guérison est la reconnexion avec elle. »

 

Pour témoigner de violences, faut-il dérouler les faits bruts ?

Faut-il raconter l’horreur dans les moindres détails pour être crédible ? 

 

La réponse est non bien sûr.

 

Un témoignage n’est pas un rapport de police. Il ne s’agit pas non plus de nourrir le voyeurisme ou de replonger dans la pornographie de la douleur.

 

Cela peut être d’autant plus difficile que la mémoire des victimes est souvent fragmentée, floue, parsemée de trous. 

 

Pourquoi ?

Parce qu’au moment même des violences, l’esprit se déconnecte du corps pour survivre. 

C’est ce qu’on appelle la dissociation.

 

La dissociation est un mécanisme de protection. Pour ne pas mourir psychiquement le cerveau met à distance ce qui est insupportable. Le prix à payer de cette protection c’est que les souvenirs deviennent comme fragmentés.

 

Voilà pourquoi tant de témoignages ne consacrent que quelques lignes aux faits eux-mêmes. 

Non pas parce que « ce n’est pas grave » même parce que le souvenir est impraticable et flou.

 

Bien sûr les agressions sont des actes violents et traumatisants.

 

Mais ce qui détruit profondément et durablement après l’agression initiale - le vrai poison dans les violences intra-familiales et l’inceste - c’est le silence imposé, le déni familial ou sociétal, l’omerta des proches qui savent mais qui détournent les yeux et font comme s’ils ne savaient pas.

 

C’est le poids du secret qui intoxique le corps et l’âme. 

C’est le silence qui abîme le système nerveux, dérègle le système immunitaire, fatigue le cœur. C’est lui qui enferme dans la honte, la culpabilité et l’isolement.

 

Le vrai trauma ce n’est pas seulement l’acte : c’est le fait d’avoir été laissée seul.e avec le secret et le silence, d’avoir été sacrifiée au nom d’une image familiale à préserver.

 

Alors à quoi servent nos livres, nos récits, nos mots ?

 

Un témoignage n’a jamais pour objectif de décrire l’acte dans les détails.

Il raconte autre chose. Quelque chose d’infiniment plus précieux :

 

Le courage de briser le silence,

Le chemin pour retrouver sa voix,

Les étapes pour reconstruire son estime de soi,

La lente libération de la honte et de la culpabilité, 

La reconquête de sa place dans le monde.

Comment on redevient petit à petit entier.e.

 

Les témoignages des victimes sont des récits de résilience pas des récits de voyeurisme.

 

Et tant pis pour celles et ceux qui n’aiment pas le pathos.

 

André Gide dans son Journal écrivait au début du XXème siècle : « Le pathos de Beethoven me touche aujourd'hui beaucoup moins que la contemplative adoration de Bach ».

 

Il y a des moments où on aime la musique de Bach, et des moments où on aime Beethoven.

 

Parfois le pathos de Beethoven est nécessaire pour nous réveiller et revenir à la Vie.

 

La valeur d’un témoignage n’est pas dans la précision des faits mais dans l’expérience du chemin partagé. Dans la preuve qu’il est possible de se reconstruire après l’effondrement. 

 

Oui mon livre ne dit que très peu de choses de l’agresseur ou de l’agression.

J’ai mis tant d’années à oser parler.

Et l’essentiel n’était pas là. 

L’essentiel est dans ce qui vient après.

Dans le long chemin de résilience.

Dans le passage du silence à la parole, de la honte à l’estime de soi, de l’isolement et de l’effacement à la place qu’on reprend.

 

Témoigner, ce n’est pas raconter l’indicible.

 

Témoigner c’est dire : « Voilà comment j’ai retrouvé ma voix, après qu’on me l’a volée ».

 

Écrire c’est réparer le sol pour que l’arbre repousse.

 

Si un jour, vous souhaitez vous aussi contribuer, sortir du silence et que vous avez besoin d’une main tendue pour vous accompagner, contactez-moi pour en parler.

 

Avec gratitude.

 

Sylvie

 

Photo personnelle : parc de l’Orangerie, Strasbourg

 

 

--

 

Evénement :

 

Prochain ✍️ Atelier en ligne : Les bienfaits de l’écriture dans la libération du trauma

 

Samedi 30/08/2025 — de 14h à 17h (heure de Paris)
En direct sur Zoom – Sur inscription uniquement – Places limitées pour garantir un espace de qualité et d’écoute

 

https://www.sylvie-mouledous.com/ateliers


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