Écrire à partir de chez soi
Lorsque je décide de revenir sur ma terre natale en 2021, je ne sais pas encore que j’écrirai à partir de chez moi.
Curieusement, je prends conscience, au fil des mots et des mois, qu’écrire à partir de chez soi n’a pas grand-chose à voir avec un lieu géographique. Ce n’est pas seulement les murs que l’on connaît ou les paysages qui nous entourent. Non, c’est de géographie intérieure dont il s’agit, une carte intime que l’on dessine sans cesse, au gré de ses pensées, de ses souvenirs et de ses émotions.
Écrire à partir de chez soi, c’est aller à la rencontre de ces espaces restés arides, secs, délaissés, en jachère. Des paysages oubliés, parfois désertiques, d’autres fois luxuriants, mais toujours porteurs d’une histoire que nous n’avions pas encore osé raconter. Des lieux où nos pas hésitent encore à se poser, comme des étrangers sur une terre pourtant familière.
Tranquillement, en refaire le tour, les revisiter, se souvenir – parfois distinctement, parfois vaporeusement. Se laisser surprendre par les ronces, les cailloux qui jonchent encore le chemin. Des obstacles qui, longtemps, ont semblé infranchissables mais qui, aujourd’hui, sous le regard nouveau de l’écriture, prennent une autre dimension.
« Tiens, je ne pensais pas qu’il était encore là, celui-là. »
Sourire en coin.
Le regarder. L'écrire. L’accepter. Le remercier. Le déplacer.
Ces pierres, ces ronces ne sont plus des ennemis, mais des compagnons de route. Chaque mot écrit est un pas de plus vers la réconciliation avec soi-même. Et cette réconciliation passe par l’acceptation des blessures non guéries, des doutes et des peurs.
Écrire, c’est les accueillir, les apprivoiser, les transformer.
Écrire à partir de chez soi, c’est descendre peu à peu dans les entrailles de notre Terre-Mère. Pas après pas, mot après mot, virgule après virgule. C’est une plongée parfois douce parfois plus brutale, mais inexorable, dans les profondeurs de notre être. Un chemin où l’on écoute chaque battement, chaque murmure intérieur, jusqu’à entendre, au plus profond, la pulsation de vie qui nous anime.
Sonder son ventre nourricier, en toute sécurité. Cœur battant sous la surface, là où l’on croyait tout figé, anesthésié. Découvrir un espace mystérieux où la transformation s’opère, où la mort devient vie, où les cicatrices deviennent sources de lumière.
Vive l'alchimie.
Écrire à partir de sa Terre-Mère, c’est planter de nouvelles graines. Les enfouir dans l’humus, leur offrir la douceur d’un sol fertile. Les voir prendre racine, se nourrir de tout ce que nous avons vécu, de tout ce que nous sommes. Et puis, les voir grandir, s’épanouir jusqu’à émerger à la Lumière. Mains tendues vers le ciel.
Comme un tournesol qui, chaque matin, tourne son visage vers le soleil, l’écriture ouvre son cœur à une nouvelle Lumière.
Ecrire est un geste puissant, qui parle d’espoir, de renaissance.
Écrire à partir de chez soi, c’est aussi savoir accueillir le silence. Ce silence fertile, plein de promesses, qui prépare l’éclosion des mots. Ce silence dans lequel chaque pensée se forme avant de se transformer en phrases. Un silence que l’on apprivoise, où l’on découvre que même l’absence de mots est une manière de dire.
Et puis, lorsque les mots jaillissent, ils ne sont plus des inconnus. Ils sont des fragments de nous-mêmes, des reflets de notre histoire. Écrire à partir de chez soi, c’est se révéler peu à peu, comme on ôte délicatement les couches de terre d’un trésor enfoui. Chaque mot est un éclat de vérité, une parcelle de soi que l’on offre au monde, fragile mais authentique.
C'est tout ça à la fois, écrire à partir de chez soi.
C’est tisser, entre passé et présent, entre ombre et lumière, un chemin de transformation. C’est retrouver la source, là où tout commence et tout se termine.
On écrit ensemble ?
Photo personnelle : Nouméa, Nouvelle Calédonie (mai 2019)