Pour vivre heureux vivons cachés... vraiment ?
Ce sont les derniers vers et la morale de la fable Le Grillon de Jean-Pierre Claris de Florian écrite en 1793.
Dans cette fable, un grillon se lamente en comparant son sort à celui d’un superbe papillon paradant dans les airs : « Dame Nature Pour lui fit tout et pour moi rien ». Mais lorsqu’il voit des enfants poursuivre le papillon et « déchirer la pauvre bête », le grillon change d’avis : « Oh ! Oh ! Dit le grillon, je ne suis plus fâché, Il en coûte trop cher pour briller dans le monde. […] »
On lit souvent cette phrase dans le milieu du développement personnel. Elle est habituellement accompagnée d’une image de cabane isolée dans un superbe paysage.
Elle est comme une invitation à se retirer du monde.
Dans un monde hyper connecté, hyper stimulé, le retrait temporaire du monde est tentant bien sûr, et sans doute nécessaire parfois.
Mais si on y réfléchit 2 minutes, sur quoi est-elle basée ?
- sur le fait de ne pas accepter et aimer le monde dans lequel on vit,
- sur le fait de ne pas vouloir y prendre part,
- sur le fait de ne pas y trouver sa place,
- sur le fait de se sentir tellement spécial ou fragile qu’on ne veut ou peut pas y prendre part.
Elle est basée sur un NON à la vie et un NON au monde qui nous entoure.
Vivre cachée, ne pas oser prendre ma place je l’ai fait une bonne partie de ma vie en raison du manque de confiance en moi, de mon histoire, de mes traumas et de toutes ces parties de moi apeurées que je trimbalais avec moi depuis des décennies.
Mais quand j’y réfléchis bien, j’ai toujours préféré le OUI.
Vivre cachée n’est pas ce qui m’a rendue plus heureuse.
Ce qui m’a allégée au fil des années c’est de faire le tri dans ma vie, de mieux me connaître, d’être en phase avec mes propres valeurs, d’aller plus en profondeur.
En écrivant ça, je repense à Leonard Cohen, grand auteur, compositeur, interprète qui a composé le magistral
« Hallelujah ». Leonard était un chercheur d’absolu, de vérité.
Il a eu lui aussi la tentation du « pour vivre heureux vivons cachés ».
Dans les années 90 il s’exile durant 6 ans dans un monastère bouddhiste près de Los Angeles et est ordonné moine bouddhiste zen. Il ne produit aucune chanson durant toute cette période de retrait. En 2004, il est escroqué par son ancienne manager. Elle détourne 5 millions de dollars, sera poursuivie en justice, condamnée à dix-huit mois de prison et 7,3 millions de dollars de restitution mais, insolvable, ne lui rendra rien.
Il est ruiné.
Parfois la vie se charge de faire le tri pour nous.
Lorsqu’il remonte sur scène et fait une tournée mondiale en 2008 le public est enthousiaste.
Il fait le plein partout.
Je me souviens de ce soir de 2013 où je le vois sur scène à Paris Bercy. Il entre tranquillement avec son costume sombre et sobre, son chapeau, un grand sourire aux lèvres. Il est pieds nus. Il est complètement là, sur scène devant son public, à sa juste place, dans le plaisir et le bonheur de partager ce qu’il a toujours fait de mieux : sa musique, ses mots, ses créations.
Son bonheur se voit et se ressent. C’est communicatif. Vrai.
C’est un des concerts qui m’a le plus émue dans ma vie.
Pour vivre heureux, je ne pense pas qu’il faille vivre caché.
Vivre caché c’est fuir le monde (le nôtre et celui des autres) et nous sommes des êtres de relation.
Pour vivre heureux, osons faire le tri dans nos vies et dans notre coeur.
Osons nous connaître, nous reconnaître, nous accepter.
Acceptons de voir notre différence et notre unicité non pas comme un problème à résoudre mais comme un cadeau précieux à partager avec le reste du monde en gardant à l'esprit qu'on ne peut pas plaire à tout le monde.
L’écriture aide à cela.
C’est un outil de reliance formidable qui m’a permis au fil des années ce mouvement vers moi-même et vers les autres.
On écrit ensemble ?
Photo personnelle 2023 : Paris, marches du Sacré Coeur