Voyage Essentiel


19 décembre 2024, 20h.

Je suis au Grand Rex à Paris.

J’attends Alejandro Jodorowsky, surnommé « Jodo » qui a 95 ans aujourd’hui.

« J’ai presque un siècle » nous dira-t-il en arrivant sur scène.

 

Dans ce seul en scène (mais finalement ils sont 5) Alejandro Jodorowsky nous invite à une nouvelle expérience artistique, totalement inédite, alliant l’intimité du conte et de la lecture à l’imaginaire visuel du cinéma.

 

Comme depuis son salon, assis dans son fauteuil, il nous plongera dans sa nouvelle œuvre Voyage essentiel.

 

On passe de l’ombre à la lumière.

Comme dans sa propre vie.

Comme dans nos propres vies.

 

Jodo est un artiste franco-chilien multiforme - cinéaste, acteur, dramaturge, mime, auteur visionnaire... - et psychothérapeute novateur, engagé également dans la Voie du tarot. 

Jodo est un créateur, parfois provocateur, un chercheur de vérité, d’essentiel.

On ne sait jamais trop à quoi s’attendre avec lui.

Il a fait tellement de choses dans sa vie.

 

J’aime ces rencontres et ces moments précieux avec des artistes atypiques, qui ont osé sortir du cadre pour suivre leurs voyages personnels, leurs intuitions et surtout leur authenticité.

 

Ces rencontres me parlent de liberté, de conscience, de vérité, d’engagement personnel.

De Vie avec un grand « V ».

 

Ce « voyage essentiel vers soi » constitue aussi l’héritage et les valeurs que j’ai envie de transmettre à mon fils.

 

Au début de cette rencontre au Grand Rex Alejandro précise que tout ce qui est dit ce soir au Grand Rex est vrai. Avec Alejandro on est toujours entre conte, poésie, songe et danse de la réalité. Il revient tout d’abord sur son enfance et son adolescence. Quelques images des deux premiers films de sa trilogie (le premier sur l’enfance et le deuxième sur l’adolescence) sont projetées sur écran. On y voit la violence et la brutalité d’un père envers son fils, l’éducation autoritaire au Chili (son père souhaitait qu’il soit médecin), la violence dans le couple parental. On y découvre une mère, soumise, violée par son mari qui n’a jamais réussi à s’affranchir des liens toxiques avec sa propre famille. On y découvre un enfant et un adolescent différent, écrasé par le poids des conventions, des conditionnements familiaux, des blessures familiales qui ressurgissent au sein des relations. 

 

Tel est le terreau dans lequel Alejandro a grandi.

Tel est l’arbre généalogique que la vie lui a offert. Arbre qu’il abattra d’ailleurs symboliquement avec une hache dans une scène du film sur son adolescence. 

Telle est la réalité avec laquelle il a dansé.

 

Alejandro quittera le Chili sans se retourner à l’âge de 24 ans pour s’exiler en France et ne reverra plus jamais ses parents.

 

La violence familiale à exhumer et la recherche de son identité sont des thématiques que l’on retrouvera tout au long de ses œuvres.

 

L’art a toujours été un espace de recherche et de transmutation pour lui.

 

Il n’a jamais cherché le succès dans son art, il a cherché à être vrai.

 

Il dit “Quand on est un artiste c’est comme lorsqu ‘on fait un enfant. Si vous êtes mère vous ne faites pas un enfant pour qu’il triomphe, vous faites un enfant pour faire votre enfant le meilleur possible et l’aimer. C’est un sentiment qui vient de votre profondeur. 
Bon, l’art c’est pareil. Ça sort du plus profond de nos entrailles, mais c’est ce qui est donné. Donc on s’en fiche du succès. Si on a le succès, on l’accepte. Il y a un dicton juif qui dit : si Dieu te donne un gâteau que tu ne voulais pas, mange-le. C’est Dieu qui te le donne.”

 

Durant ces 2h, entre nous, il nous parle des rencontres qui ont marqué sa vie : André Breton, le mime Marceau, Ejo Takata, Leonora Carrington, la guérisseuse Pachita... Il les compare à des perles de colliers qu’en enfileraient les unes après les autres.

 

On comprend qu’elles l’ont toutes aidé à se construire, à se comprendre et à vivre.

 

Alejandro Jodorowski a toujours dit que

« se connaître soi-même est l’unique aventure qui vaille d’être tentée ».

 

Je le crois aussi.

 

Pour me connaître et me comprendre j’ai dû passer en premier lieu par comprendre le trauma dans lequel je suis tombée très jeune, un peu comme Obélix dans la potion magique. 

 

J’ai dû me rendre à l’évidence au fil des années. Il n’y avait pas de super pouvoirs dans mon  chaudron. 

 

Le trauma, et son câblage particulier, nous fait croire, - parfois pendant des décennies -, que nous en sommes dépourvus.

 

En effet, ma vie a longtemps été une lutte permanente, me sentant coincée, engluée dans des émotions négatives chroniques telle que l’anxiété, la dépression, la douleur ou la colère.

 

J’ai mis du temps à comprendre que ces luttes n’étaient pas ma faute mais que j’étais sous l’emprise d’un programme émotionnel cérébral du passé lié à mes différents traumas qui m’empêchait de me sentir en sécurité.

 

Le trauma émotionnel démarre souvent très tôt.

 

Pour moi il a démarré in-utero. On sait aujourd’hui que les fœtus in-utero sont très sensibles au bien-être émotionnel de leur mère. Si la mère souffre d’anxiété chronique, l’enfant en devenir est baigné dans des hormones de stress et est enclin à naître avec un degré de vulnérabilité émotionnelle.

 

Néanmoins, l’impact qui aura le plus d’importance sur notre développement en tant qu’adulte est lié à nos premières années de la petite enfance.

 

Dans la revue de santé scolaire et universitaire n° 19 (Janvier-Février 2013), Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, écrit : 

 

« Les violences que subissent les enfants (physiques, psychologiques ou sexuelles), le plus souvent intrafamiliales ou institutionnelles et commises par des personnes censées les protéger, sont une atteinte grave à leurs droits, à leur dignité et à leur intégrité physique et psychique. Bien que ce soient des délits ou des crimes avec circonstances aggravantes, elles restent très rarement identifiées et signalées. Non seulement les enfants victimes se retrouvent à survivre seuls aux conséquences psychotraumatiques qu’elles entraînent et plus particulièrement à leur symptôme principal – la mémoire traumatique -, qui leur faisant revivre les violences à l’identique, s’apparente à une véritable torture qui n’en finit pas. De toutes les violences, les violences envers les enfants sont certainement les plus cachées. La loi du silence y règne en maître. Les violences sont très peu dépistées et leurs conséquences psychotraumatiques rarement diagnostiquées par des professionnels de la santé qui n’ont pas été formés durant leurs études. Or, ces conséquences psychotraumatiques sont graves. Si elles ne sont pas prises en charge de façon spécifique, elles peuvent durer des années, des dizaines d’années, voire toute une vie [...] Ces enfants gravement traumatisés par des violences ont dû vivre continuellement menacés, sans aucun droit, avec la peur au ventre (peur de parler, peur de provoquer une colère, peur d’être tués, peur de se réveiller le matin, peur de rentrer à la maison après l’école, peur des repas, des week-ends, des vacances...). Ils ont dû développer des stratégies hors normes pour survivre, en s’auto-censurant pour éviter toutes les situations à risque de dégénérer en violences, en se soumettant à tous les diktats et les mises en scène des bourreaux, en gardant le silence, en se dissociant pour supporter l’insupportable, un développant très souvent un monde imaginaire pour s’y réfugier. Mais ces stratégies ont leurs limites et les enfants peuvent traverser des périodes de désespoirs intenses avec des risques de passage à l’acte suicidaire [...] Sortir du déni, protéger et soigner les enfants victimes de violences est une urgence de santé publique. Ces conséquences psychotraumatiques sont encore trop méconnues, alors que leur prise en charge est efficace. Elle doit être la plus précoce possible. En traitant la mémoire traumatique, c’est-à-dire en l’intégrant en mémoire autobiographique, elle permet de réparer les atteintes neurologiques et de rendre inutiles les stratégies de survie. Pour cela il faut revisiter les violences, en les reconnaissant toutes, en faisant en sorte qu’il n’y ait plus d’état de sidération. Il faut sécuriser l’enfant, en lui expliquant les mécanismes psychotraumatiques, en faisant des liens avec lui, en redonnant du sens, du droit et de la cohérence à tout ce qui n’en avait pas. Il est nécessaire de démonter le système agresseur, en reconstituant avec l’enfant toute son histoire et en restaurant sa personnalité et sa dignité, en les débarrassant de tout ce qui les avait colonisées et aliénées (mises en scènes, mensonges, déni, mémoire traumatique), pour que la personne qu’il est fondamentalement puisse à nouveau s’exprimer et vivre tout simplement. Pour que l’enfant terrorisé, ne soit enfin plus jamais seul, pour « abattre le mur du silence et rejoindre l’enfant qui attend ». 

 

« Rejoindre l’enfant qui attend, traiter la mémoire traumatique en l’intégrant dans une mémoire autobiographique ».

 

C’est là, bien sûr, où le fait de comprendre, d’écrire et de partager son histoire prendre tout son sens.

 

J’ai longtemps cru comme l’a dit Alejandro Jodorowski « qu’un oiseau né en cage pense que voler est une maladie » jusqu’à ce que je découvre comme Amélie Nothomb dans son roman Psychopompe « qu’écrire c’est voler ».

 

Oui l’écriture est un acte de création et de libération qui permet d’inscrire les événements du passé dans un récit biographique qui peut prendre un sens totalement nouveau.

 

« Les souffrances familiales, comme les anneaux d’une chaîne, se répètent de génération en génération jusqu’à ce qu’un descendant – dans ce cas peut-être toi ? en prenne conscience et transforme sa malédiction en bénédiction » nous dit Alejandro Jodorowski.

 

Mais revenons à ce soir, dans les fauteuils confortables de cette salle du Grand Rex.

Nous arrivons à la fin de cette rencontre et au cœur du Voyage Essentiel.

 

Alejandro est touchant. 

Il nous rappelle que tout ce qui a été dit ce soir qui est la dernière partie de sa trilogie (La Voz Eterna, La maturité) est vrai.

 

Parfois il oublie certains mots.

Parfois il parle en Espagnol.

Sa compagne, Pascale, qui est sur scène avec lui et qui partage sa vie depuis 20 ans le reprend alors gentiment et lui demande de parler en Français.

 

Aux derniers instants de cette rencontre, une photo est projetée sur l’écran de cette salle mythique avec son célèbre plafond étoilé.

 

C’est une lettre manuscrite que, Sara, la mère d’Alejandro lui avait écrite avant sa mort.

 

Pascale, sa compagne, lui prend la main.

La voix tremblotante elle commence à la lire.

 

C’est une lettre de vérité.

La lettre d’une mère à son fils dont Alejandro n’a eu connaissance qu’après sa mort.

Elle contient des mots de vérité, des mots qui réparent, effacent, élèvent, qui ouvrent sur le passé et le futur éternels.

 

Ce sont des mots cathédrale.

 

Un grand silence envahit la scène et la salle.

Et un grand vent de vérité souffle à ce moment-là.

L’instant est béni.

Il n’y a plus de passé, ni de futur, tout est UN.

 

Pascale et Alejandro se prennent dans les bras.

Pascale vient de l’amener, - et vient de nous amener -, vers notre Essentiel.

 

Jodorowski disait que « L’ Amour c’est l’essentiel du cosmos. La haine n’existe pas. La haine c’est le manque d’amour. Mais de quel amour est-ce que l’on parle ? L’amour c’est la vérité. C’est la vérité réelle de la vie. L’essence de la vie s’appelle l’amour. Et je l’appelle vérité, et j’ai dit qu’il n’y a pas de vérité sans beauté, et sans bonté. Vérité, bonté, beauté et spirituel : - ça c’est l’essence de l’amour. ».

 

Merci Alejandro de nous avoir fait voyager entre rêve et réalité pour finalement nous rappeler la vérité et l’essence de la vie.

 

Je me souviendrai longtemps de cette rencontre comme d’une perle rare de plus à rajouter à mon propre collier.

 

Osons obéir aux appels des Anges pour renaître aux divins enfants que nous sommes tous et que nous avons toujours été.

 

On écrit ensemble.

 

 

Photo personnelle : Alejandro Jodorowsky et Pascale Montandon-Jodorowsky au Grand Rex, vendredi 19 décembre 2024


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